Vous voulez faire un projet d’enquête orale?
Depuis quelques années, la rencontre de violoneux du troisième âge prend une grande place dans ma vie de musicienne. Non seulement j’apprends grâce à eux du vieux répertoire et certaines techniques de jeu de nos anciens, mais également je me fais des amis qui sont tellement contents de partager une musique qu’ils ont eux-même apprise de leurs prédécesseurs. Certes la musique traditionnelle évolue avec chaque nouvelle génération. Mais il est fondamental de continuer à boucler la boucle: à chaque violoneux revient la tâche d’assurer le passage d’une génération à l’autre d’une partie du style et du répertoire de notre magnifique tradition.
Le travail de terrain est essentiel, dans mon contact avec la matière orale et dans l’usage que j’en fais. Le simple fait de référer à cette matière orale via l’expression « patrimoine vivant » exacerbe d’ailleurs le lien qui existe entre le savoir-faire et ses porteuses/porteurs. D’autre part, la sauvegarde de la matière orale dépend entièrement de la transmission de ses pratiques, ce qui implique encore que la rencontre avec ses praticiennes/praticiens naturels est au coeur du processus. Une transmission réussie, pour moi, c’est une transmission qui touche et qui transforme la partie réceptrice. S’engager dans la rencontre donne accès non seulement à la matière spécifique que l’on étudie, mais à toutes ses harmoniques invisibles, et c’est ça qui fait la différence. De la même manière que l’on perd toutes les subtilités d’un style chanté pour n’en garder que le support lorsqu’on fait la transcription musicale d’une chanson, on perd une richesse immense et peut-être fondamentale lorsqu’on ne remonte pas à la source d’une pratique pour capter l’information inscrite dans les liens symboliques, culturels et affectifs que les porteuses/porteurs de tradition entretiennent avec elle.
La majorité de mes terrains d’enquête ethnologique a porté sur diverses formes de fêtes et de rituels organisés par des réseaux de connaissances ou des familles. Ainsi, en plus des voyages et des rencontres, le terrain d’enquête représente pour moi un précieux privilège. Il permet de vivre des occasions uniques, où l’on partage avec les gens leur intimité, leurs temps forts, leurs anecdotes, leur camaraderie et leur complicité. Cette connivence est d’une richesse inestimable!
J’ai des photos de ma station de rédaction, de moi « couettée par le vent » à Fatima, Iles de la Madeleine en train de prendre des rendez-vous… Je faisais aussi de la recherche d’archives là bas et des photos des lieux. Et une de moi qui se prépare à courir la Mi-Carême à Natashquan.
Prendre le temps de rencontrer l’Autre, de l’écouter, de recevoir ses confidences, ses réflexions, ses passions! Enregistrer et conserver les souvenirs, les traditions, les dires, le vécu, pour agrémenter la suite, c’est aussi ça le terrain!
Mes rencontres avec des dizaines d’héritiers naturels de la tradition sont une source d’inspiration pour moi dans mon quotidien. Les gens me donnent accès à leurs trésors, à leur vie intime. Souvent, sans en être conscients, ils me racontent des choses qu’ils n’avaient jamais discutées avec personne et ont des prises de conscience face à leur propre tradition et à l’importance de la sauvegarder. Ce geste de partage les valorise et leur permet de laisser un héritage à leur famille et à leur communauté.
Les échanges encourus alimentent mes projets et mes recherches, sans parler de mon expertise. Ils me permettent de bien cerner le contexte de pratique des traditions et de récolter des idées d’actions afin de bien intervenir pour la continuité du savoir-faire. Ces rencontres fascinantes me donnent le goût de poursuivre et de redonner à la collectivité mes découvertes extraordinaires, dans la simplicité de la tradition.
Pour moi, le terrain a toujours été la plus belle partie de la recherche. C’est l’occasion d’aller à la rencontre de personnes fabuleuses qui ont des parcours et des expériences souvent peu connus, mais ô combien intéressants! C’est aussi un moment privilégié où on prend le temps de mettre tout sur pause et d’être simplement à l’écoute d’un autre être humain. On fait toujours des rencontres enrichissantes et on apprend beaucoup! Si les participants qu’on rencontre sont souvent touchés de se faire interroger dans le cadre d’une recherche, je crois que le chercheur est aussi gâté de pouvoir vivre ces moments avec eux!
Mon coup de cœur avec le terrain et les rencontres qu’il occasionne a été l’élément déclencheur et la motivation première pour mes études universitaires en ethnologie. L’enquête orale a toujours été au cœur de ma passion pour mon domaine. Avec les années, via le travail de terrain, j’ai conçu des projets, j’ai mené des projets pensés par d’autres, mais je me suis surtout construite moi-même et enrichie par ces contacts. Le terrain est grisant, il sous-tend toujours une grande part d’inconnu. Le terrain nécessite une grande humilité. Le terrain, c’est donc apprendre à s’effacer pour permettre à quelqu’un d’autre d’apparaitre pleinement. La parole est forte. Elle est belle. Elle n’est pas simple pour tous. Elle fait du bien. Toutes ces rencontres m’ont changée. Elles vous changeront aussi !
J’ai commencé mon premier projet de collectage à l’automne 2001, à St-Côme, mon village natal. J’étais très excité à l’idée d’enregistrer et de découvrir plein de nouvelles chansons mais surtout d’essayer mon nouveau « kit » d’enregistrement tout neuf, numérique, à la fine pointe de la technologie. Mes collaborateurs étaient évidemment curieux et impressionnés par tous mes gadgets. L’intérêt pour mes bidules ne durait heureusement pas très longtemps et on oubliait vite le micro pour se mettre à chanter, à se raconter des souvenirs, joyeux comme tristes. Nos rencontres conviviales nous faisaient à tous beaucoup de bien. J’appellerais ça un genre de « traitement psychothérapique folklorique ».
Un commentaire revenait assez souvent par contre: « c’est dommage que tu te décides à venir nous enregistrer quand on est presque pus capable de chanter. Quand j’étais plus jeune j’avais une ben plus belle voix ». Je leur demandais alors si eux-mêmes ou quelqu’un d’autre de la famille possédait par hasard des enregistrements de cette fameuse époque où leur voix leur faisait meilleur honneur. C’est là qu’on a dépoussiéré de vieux rubans, de vielles cassettes huit pistes, des cassettes quatre pistes et même quelques enregistrements vidéos. J’ai compris qu’une grosse partie du travail que j’étais en train de faire avais déjà été faite depuis bien longtemps. La récolte fut abondante…
Croiser les savoirs
Entre recherche et quête, le travail de terrain et de collectage, tant du côté de la tradition orale que dans le vif de la vie d’aujourd’hui, est avant tout pour moi une occasion de mettre en commun des morceaux du puzzle de l’aventure humaine. Ce n’est pas le terrain pour confirmer des théories préconçues, mais le terrain pour chercher, trouver et comprendre ensemble. C’est l’occasion de se mettre dans la réalité, dans d’autres réalités, dans d’autres imaginaires, dans d’autres cadres de référence, de mettre en question les savoirs, théories et approches convenus, de déranger les standards, de recomposer des compréhensions. C’est souvent l’occasion d’entendre des voix peu entendues et pourtant importantes et signifiantes, de mettre en évidence ce qui est refoulé ou mis à la marge. C’est l’occasion à la fois de s’enrichir de la collecte de savoirs qui s’empilent sur les lieux de nos passions et de nos intuitions, et de réfléchir avec les personnes rencontrées sur le sens et les possibles de ce qui se transporte et se perpétue ainsi pour la suite du monde.
Mon expérience de recherche a débuté en 1984. Déjà, la rencontre avec les porteurs de tradition se répercutait sur le premier organisme que j’ai fondé et dirigé: les Danseries de Québec, devenues le CVPV Es Trad. Toutes les précieuses données recueillies pendant de très nombreuses heures à écouter les porteurs m’ont guidée dans le développement de structures signifiantes et durables. Ce lien humain de reconnaissance et ce savoir-être, est pour moi la base de la mise en valeur du patrimoine vivant.
Conseil québécois du patrimoine vivant
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T : 418.524.9090
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LA T.A.U.P.E. EST UN PROJET DU CONSEIL QUÉBÉCOIS DU PATRIMOINE VIVANT
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